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Le Congrès qui fut une autre Révolution

congreso PCCLa tenue, il y a 45 ans, du 1er Congrès du Parti communiste de Cuba, a représenté une étape importante dans l’histoire de cette organisation politique

• Comme s’il imitait un topographe, l’un des nombreux camarades qui travaillaient à l’époque sur les systèmes hydrauliques de la centrale électrique Uruguay, l’homme regarda par-dessus le bout de sa bêche et n’entrevit aucun signe de la fin de ce sillon interminable qui, vers les 11 heures, le faisait transpirer de la tête aux pieds.

« Messieurs, je suis tombé sur le pire de tous. Ils auraient dû garder celui-ci pour Joaquin Bernal, qui a inventé les travaux bénévoles à Sancti Spíritus », dit-il à ses compagnons qui étaient les plus proches de lui.

Et alors que les rires du groupe ne s’étaient pas encore arrêtés après son trait d’esprit, on entendit la voix inimitable de Joaquin Bernal Camero, à l’époque Premier secrétaire du Comité provincial du Parti, qui, trois sillons plus bas, était lui aussi, sa bêche à la main, aux prises avec les mêmes mauvaises herbes, tout en écoutant la conversation : « Écoutez, mon ami, terminez le vôtre, car moi je vais finir le mien et je vous assure qu’il n’est pas facile non plus », répondit le responsable.

Invité par Granma, à l’occasion de la célébration imminente du 8e Congrès du Parti, l’ancien dirigeant de Sancti Spiritus ne nie pas la véracité de cet anecdote, ni d’autres qui sous-tendent l’imaginaire local, et témoignent dans une large mesure de ce lien indispensable avec le peuple. Un mandat de Fidel que, selon lui, le Parti doit garder à l’esprit « dans les bonnes comme dans les mauvaises périodes ».

Joaquin, comme on l’appelle encore à Sancti Spiritus, trois décennies après la fin de son mandat, n’a pas eu besoin de forcer beaucoup sa mémoire pour revenir à cette époque qu’il définit comme « de grande effervescence et de grand apprentissage », en particulier pour se souvenir de ce qu’il vécut lors de la célébration dans le pays du 1er Congrès des communistes cubains (décembre 1975). Un événement au cours duquel il fut nommé membre suppléant du Comité central, avec la tâche pas si simple de former une nouvelle province à partir de trois régions différentes.
Héritier de la tradition unitaire avec laquelle le Parti fut constitué en 1965, le nouveau Comité central élargit la participation des femmes. Aux côtés de Jorge Lezcano, Vilma EspIín et Yolanda Ferrer. Photo : ARCHIVES DE GRANMA

« Nous y sommes allés en tant que délégués de la province de Las Villas et nous avons ensuite dû mettre en œuvre les politiques adoptées dans une autre, parce qu’immédiatement, ce que l’on appelle la Nouvelle division administrative politique a commencé (à la mi-1976), et je suis devenu le Premier secrétaire du Comité provincial du pcc à Sancti Spiritus », se souvient Bernal Camero.

À cette époque, ce cultivateur de tabac de Cabaiguan s’était déjà formé, de manière autodidacte, dans des cours de politique dans le pays et dans l’ancienne Union soviétique, et surtout dans la rue, à écouter les gens, à discuter. Il avait été Secrétaire du pcc dans les régions de l’Escambray, Sagua la Grande, Santa Clara et Sancti Spiritus, et organisateur du Parti dans l’ancienne province de Las Villas.

- Alors, vous étiez une sorte de lanceur de relève ?

- Dans une large mesure, oui. Milian – il fait référence au combattant communiste vétéran Arnaldo Milian Castro, alors Premier secrétaire à Las Villas, promu membre du Bureau politique au 1er Congrès –, avait l’habitude de m’envoyer dans les endroits où il y avait un problème. Je me souviens que lorsqu’il m’a confié la responsabilité de la région de Santa Clara, il m’a également laissé celle de l’organisation dans la province, mais lorsqu’il y a des jeunes, tout est possible. Je dirigeais la région le jour et la province la nuit, où, en réalité, j’avais une équipe magnifique.

À propos de ce Congrès, qui pour Joaquin Bernal fut « comme une autre Révolution », il se souvient surtout de la profondeur des discussions concernant la politique des cadres, les problèmes de l’économie, etc., de l’impressionnant Rapport Central présenté par Fidel et de l’atmosphère qui régnait à cette époque, après le début de l’épopée angolaise.

TOUS LES MÉRITES AU SEIN DU COMITÉ CENTRAL

Lorsque Fabio Grobart, avec son indiscutable accent polonais, présenta « le fondateur, chef et guide » de la Révolution comme Premier Secrétaire du Comité central du Parti, on reconnaissait non seulement les mérites incontestables de Fidel à la tête de tout le processus qui avait radicalement transformé l’histoire du pays, mais aussi son rôle à la tête de l’organisation politique qu’il avait lui-même construite, avec la patience d’un orfèvre, une décennie plus tôt.

Quelques minutes plus tard, Fidel lui-même allait parler de l’importance du Congrès pour la nation et pour la consolidation du Parti, alors que son Bureau politique se trouvait renforcé par cinq camarades de valeur : Blas Roca Calderio, « dont la vie est un monument à la simplicité, à la modestie, au travail, à l’identification à la cause des travailleurs » ; José Ramon Machado Ventura, « dont les mérites, le caractère, le prestige et l’autorité sont connus de tous ». Carlos Rafael Rodriguez, « dont les capacités sont proverbiales, car même à l’époque du capitalisme, on parlait déjà de Carlos Rafael avec beaucoup de respect » ; Pedro Miret Prieto, « l’un des premiers jeunes universitaires qui rejoignirent la lutte à travers laquelle fut lancé ce processus » et Arnaldo Milian Castro, pour son « travail brillant à la tête de la province de Las Villas ».

Héritier de la même tradition unitaire avec laquelle le Parti avait été constitué en 1965, le nouveau Comité central, comme la société elle-même, fut peint « en noir et en blanc », donna leur place aux femmes et se nourrit de personnes anonymes, comme le combattant internationaliste de Guinée Bissau, Pedro Rodriguez Peralta, à l’époque dans une prison de colonialistes portugais ; le coupeur de canne à sucre Reinaldo Castro, excellent lors de la récolte ; Pilar Fernandez, une modeste ouvrière d’usine ; le scientifique Zoilo Marinello ou le poète Nicolas Guillén.

Même si l’on sait que dans le Parti et dans la Révolution « le népotisme ne peut pas exister, et n’existera jamais (…), il arrive que deux cadres soient unis », expliqua Fidel aux délégués et invités de 86 délégations internationales réunis au théâtre Karl Marx, pour révéler ensuite le privilège que représentait pour lui le fait d’avoir un Deuxième Secrétaire du Parti qui, « en plus d’être un extraordinaire cadre révolutionnaire, est aussi un frère ».

La relation familiale servit à ce que lui, en tant que frère aîné, l’enrôle dans le processus révolutionnaire et l’invite à l’attaque de la caserne Moncada, déclara le commandant en chef lui-même lors de la cérémonie de clôture : « Et ce fut le début. Et la prison, et l’exil, et l’expédition de Granma, et les moments difficiles, et le Deuxième Front, et le travail réalisé pendant ces années », dit-il, en évoquant la trajectoire de Raul.

UN CONGRÈS À RELIRE

Plus qu’un recueil de chiffres ou d’idées, le Rapport central du Premier Congrès du Parti est un portrait de la vie économique, politique et sociale du pays, après 16 ans de Révolution, « un document percutant », selon Joaquin Bernal, l’un des 3 116 délégués au Congrès, qui mit en lumière les apports de cette étape de la construction du socialisme cubain, tout en reconnaissant les erreurs commises à l’époque.

« La discussion fut serrée dans les commissions », se souvient Dagoberto Pérez Pérez, délégué de la région de l’Escambray de l’ancienne province de Las Villas. « Nous défendions la thèse selon laquelle il était impossible d’étudier tout en travaillant. Je me souviens que Julio Camacho Aguilera mena le débat de main de maître et, à la fin, ils nous ont convaincus du contraire. »

Cependant, au Congrès, on n’a pas seulement « cuisiné » le Rapport. Des séances de travail, tenues entre le 17 et le 22 décembre 1975, sont issues la Plate-forme programmatique du Parti, le Projet de Constitution de la République de Cuba, finalement approuvé par référendum populaire le 24 février 1976, la nouvelle Division politique et administrative, qui mettait fin à l’ancien schéma colonial, et fut mise en œuvre à partir de 1976, ainsi qu’aux Thèses et aux Résolutions sur divers domaines de la vie nationale.

Même si plus de vingt de ces derniers ont été approuvés, il est évident que certains de ces documents se limitent à l’événement lui-même, d’autres à des questions très concrètes, y compris à la vie interne de l’organisation. Toutefois, la plupart d’entre eux ont une portée universelle et une pertinence indiscutable à la lumière de notre époque.

C’est le cas des Thèses et des Résolutions qui se réfèrent au plein exercice de l’égalité des femmes ; à la Constitution et à la Loi de Transit Constitutionnel ; à la question agraire et aux relations avec la paysannerie ; à la culture artistique et littéraire ; à la Division politique et administrative ; à la formation des enfants et des jeunes ; à la lutte idéologique ; à la Plateforme programmatique du Parti ; la politique de formation, de sélection, de placement, de promotion et de perfectionnement des cadres ; la politique relative à la religion, à l’église et aux croyants ; la politique internationale ; sur les organes du Pouvoir populaire ; sur les médias, les orientations pour le développement économique et social au cours de la période quinquennale 1976-1980 ; la politique scientifique nationale et la politique éducative.

Quand, ces jours-ci, deux projets de loi sont présentés en Floride pour montrer « les horreurs du communisme » – selon la proposition, la maîtrise du sujet devrait être une condition pour passer de niveau à la fin des études secondaires –, et qu’en Espagne, la présidente de la communauté de Madrid, Isabel Diaz Ayuso a posé la question du choix entre « communisme ou liberté », il est évident que les Thèses et les Résolutions, approuvées il y a 45 ans par les communistes cubains, aient adopté alors la maxime léniniste : « le socialisme est impossible sans démocratie ».

Les Thèses et les Résolutions reconnaissent que « l’anticommunisme n’est pas seulement dirigé contre le marxisme-léninisme, mais contre toute pensée démocratique et progressiste, contre toutes les idées qui entravent les objectifs des classes réactionnaires ». Une vérité qui, au moins sur le continent américain, est devenue tangible à Cuba comme en Argentine, au Venezuela et au Nicaragua comme au Honduras, en Équateur, au Brésil, en Bolivie, et partout où apparaissent des idées anti-hégémoniques.

Les Thèses et les Résolutions sur la lutte idéologique identifient, sans demi-mesure, les ennemis de la Révolution qui déforment et dénaturent l’expérience politique de notre lutte insurrectionnelle, ou ceux qui tentent de démontrer que la Révolution cubaine est une « exceptionnalité non reproductible », ou que son expérience nie la thèse marxiste-léniniste sur la nécessité du parti dans la révolution socialiste, et appelle à combattre de telles contrevérités avec la force d’une vérité historiquement prouvée : Cuba n’était et n’est pas une exception, « mais la confirmation de la force extraordinaire des idées de Marx, Engels et Lénine. »

Un autre exemple de la validité des documents approuvés lors du 1er Congrès mérite d’être mentionné : à une époque où notre culture et nos créateurs sont harcelés par une machine médiatique sans précédent, les Thèses et les Résolutions sur la culture artistique et littéraire rappellent que « la société socialiste exige un art qui, à travers le plaisir esthétique, contribue à l’éducation du peuple » – ce qui n’implique pas de limiter son rôle à une fonction purement didactique – et, en même temps, censure la vulgarité et la médiocrité dans toutes ses manifestations.

À une date relativement lointaine, comme en 1975, le Congrès du Parti défendait ce que l’Union des écrivains et des artistes de Cuba et l’Association Hermanos Saiz n’ont cessé de réclamer : la nécessité d’une critique artistique et littéraire qui reconnaisse la qualité, et qui sache en même temps signaler les défauts de l’œuvre en question.

Le fait que, quelques jours après la clôture du 1er Congrès, la nouvelle Constitution de la République de Cuba ait été soumise à référendum, que les autorités régionales aient commencé à reconnaître les nouvelles limites géographiques établies par la Division politique et administrative approuvée et que, à la fin de 1976, les organes locaux du Pouvoir populaire aient commencé à prendre forme, ne sont que trois preuves que les décisions de cet événement ne sont pas restées lettre morte.

UNE PHILOSOPHIE POUR TOUS LES TEMPS

Le 8e Congrès du Parti a été qualifié de Congrès de la continuité, non seulement en raison du remplacement important des générations, mais aussi – et c’est tout aussi important – parce que, avec ses transformations et ses mises à jour, le cours de la Révolution reste identique.

Comme le stipule la nouvelle Constitution approuvée par l’Assemblée nationale et entérinée par le vote de l’écrasante majorité des Cubains en 2019, le Parti communiste de Cuba conserve son statut de « force politique dirigeante supérieure de la société et de l’État » ; la propriété socialiste continue d’être la propriété fondamentale, même si la Constitution en reconnaît d’autres ; la politique étrangère reste aussi verticale et indépendante qu’il y a 45 ans ; les conquêtes sociales – santé, éducation, emploi, sécurité sociale, etc – sont une priorité pour le Parti, le gouvernement et pour l’État.

Il en va de même pour l’élimination de la discrimination raciale et la lutte pour l’égalité des femmes, deux projets impulsés par la Révolution dès le premier jour, actualisés en fonction de l’époque, et sous-tendus par une perspective scientifique, également stimulée et mise en œuvre par l’État cubain, au-delà des campagnes insidieuses.

C’est ce que ressent Dagoberto Pérez Pérez, un ancien dirigeant du Parti, un campagnard de la région de Jiquima de Pelaez, à Cabaiguan, qui, un beau jour de décembre 1975, s’est reconnu, stupéfait, devant ces énormes rideaux du théâtre Karl Marx, qui bougeaient d’un côté à l’autre, comme les tiges d’un palmier quand le vent les agite.

« Lorsque je vois toutes les tournées que Diaz-Canel effectue, et tous les problèmes auxquels il fait face jour après jour, c’est comme si je voyais le Fidel de l’époque », avoue-t-il, assis dans sa maison de la rue Céspedes, dans la ville de Sancti Spiritus, où il conserve, déjà défraîchi par le temps, l’emblème du 1er Congrès du Parti communiste de Cuba.

Né en 1935, Dagoberto a étudié la mécanique automobile par correspondance, il a participé à des grèves et vendu des bons, jusqu’à ce que, du jour au lendemain, il s’est retrouvé au cœur de l’ouragan de la Révolution, ce qui l’a amené à travailler pour le Parti, au sein duquel il fut Premier Secrétaire des municipalités de Caracusey et Condado, dans la banlieue de Trinidad, et organisateur, d’abord dans la région de l’Escambray, puis dans la jeune province de Sancti Spiritus.

Avant d’arriver là-bas, René Anillo Capote le convoqua avec un autre groupe de jeunes au siège du pcc à Santa Clara, l’ancien chef-lieu de Las Villas, où il les surprit en leur annonçant une nouvelle qui, à l’époque – juin 1963 – aucun d’entre eux ne comprit : « Vous allez construire le Parti dans l’Escambray. »

Il n’en a pas fallu plus pour qu’il se retrouve à l’arrière d’une jeep en direction de Manicaragua, et encore moins pour être face au combattant de Las Villas, Eugenio Urdandibel, qui était chargé de répartir les gens sur le terrain.

– Lequel d’entre vous sait conduire ? demanda-t-il.

– Bon, savoir, ce qu’on dit savoir, je sais, ce qui se passe c’est que je n’ai pas mon permis, répondit Dagoberto.

– Ce n’est pas nécessaire, lui répondit-il, puis il posa une autre question.

– Tu as un sac à dos ?

– J’en ai un.

– Bon, alors tout est dit ; si tu sais conduire et que tu as un sac à dos, c’est parti. Tu vas aux bataillons, et fais attention, car l’Escambray est en guerre.

(Taken from Granma)

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