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Le monde des opportunités d’affaires

Mundo oportunidadesJeff Bezos est considéré par le magazine économique Forbes comme la personne la plus riche du monde. Parmi les cinq premiers de cette liste figurent trois Étasuniens et un Français. Derrière ces quatre se trouvent des entreprises technologiques ou, comme on les appelle parfois, entreprises de la nouvelle économie. On dit souvent que derrière ces fortunes se cache le pouvoir de l’innovation et la capacité à prévoir l’avenir.

Il y a aussi d’autres histoires que l’on raconte moins souvent. Il y a cinq ans, en 2016, la plateforme de e-commerce Amazon a été contrainte d’apposer un panneau dans l’un de ses entrepôts en Virginie, précisant qu’elle n’exercerait aucune pression ou répression sur les travailleurs qui souhaiteraient se syndicaliser ou qui encourageraient ceux-ci à le faire. Cette amende honorable faisait suite à l’accusation de l’association internationale des Travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale de faire précisément ce qu’elle annonçait ne pas faire. En fait, les travailleurs d’Amazon, la principale société de Bezos, n’appartiennent à aucun syndicat.

Les plaintes concernant les conditions de travail chez Amazon se sont accumulées depuis des années. Une employée, Jennifer Bates, témoignant devant le Sénat étasunien en mars de cette année, a déclaré : « Travailler dans un entrepôt d’Amazon n’est pas facile. Les journées sont longues. Le rythme est super rapide. Vous êtes constamment surveillé et contrôlé. Ils pensent que vous n’êtes juste qu’une machine de plus. » Malgré cela, peu après, ses collègues de l’entrepôt d’Alabama ont voté à une écrasante majorité contre la création d’un syndicat. Le résultat du vote a été présenté comme une surprise, mais certains analystes n’ont pas été surpris du tout. L’environnement de surveillance féroce que l’entreprise exerce sur ses employés fait que, dans une période comme celle de la pandémie, tout le monde est terrifié à l’idée de perdre son emploi. « Ils surveillent chacun de vos gestes (…), vous pouvez être sanctionné et même licencié pour n’importe quelle raison. »

Selon la loi étasunienne, il faut au moins l’accord de 50 % des travailleurs dans une entreprise pour la création d’un syndicat, qui soit reconnu comme agent collectif, représentant les travailleurs. Cette loi remonte à l’époque de Roosevelt, qui l’a signée en 1935. Selon Michael Walker, du Centre pour l’avenir de la main-d’œuvre, de l’université Macquire, la loi, qui avait pour but à l’origine de protéger les syndicats, a été détournée pour en faire un obstacle à la syndicalisation.

Au sein de l’entreprise et jusqu’au vote, la direction a mené une campagne féroce contre la possibilité de se syndicaliser. Les travailleurs recevaient des messages sur leur téléphone portable, de la propagande antisyndicale était même collée dans les toilettes, près des distributeurs de papier sanitaire. Les dirigeants de l’entreprise allaient voir les travailleurs pour leur demander ce qu’ils pensaient de l’effort de syndicalisation.

Un précédent planait au-dessus de la tête des travailleurs. Bill Hough fut parmi les premiers militants à plaider pour la syndicalisation chez Amazon, dès 2015. En 2016, il a été licencié : la nouvelle lui est parvenue alors qu’il subissait une opération du genou. L’entreprise l’a informé qu’il avait épuisé son congé de maladie et, bien qu’il soit dans l’incapacité de marcher, il a été licencié.

Selon Jennifer Bates, la direction a organisé des séances d’endoctrinement antisyndical : « Nous étions forcés de participer à ce qu’ils appelaient des réunions de “formation syndicale”. Nous n’avions pas d’autre choix que d’y assister, nous n’avions pas la possibilité de refuser, (…) elles duraient une heure et avaient lieu plusieurs fois par semaine. » Hope Pendleton a témoigné que lors de l’une de ces réunions, on les a menacés de mettre fin à leurs avantages sociaux et à leur assurance maladie si un syndicat était créé.

D’autres pratiques consistent à surveiller l’activité en ligne de leurs employés. La société avait déjà demandé que des caméras soient placées dans la salle de vote, mais cela lui avait été refusé. Serena Wallace, une employée, a déclaré que lorsqu’Amazon a installé une nouvelle boîte aux lettres, à laquelle on pouvait envoyer les bulletins de vote, elle a eu l’impression que cette boîte pouvait être surveillée, bien qu’Amazon ait affirmé qu’elle ne pouvait être contrôlée que par le service postal : « J’ai quand même évité cette boîte aux lettres. »

Si le vote avait été favorable, son exemple aurait pu s’étendre à tous les sites d’Amazon aux États-Unis, un scénario qui effrayait l’entreprise.

Le problème, ce n’est pas seulement Amazon. Selon Rebecca Givan, professeure des études sur le travail, à l’université Rutgers, « il est extrêmement difficile de créer des syndicats dans le cadre du Droit du travail actuel, les chances sont toujours en votre défaveur. » Selon un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, les entreprises ont le droit d’empêcher les militants syndicaux d’entrer dans les entreprises.

Les États-Unis ont le pourcentage le plus élevé de travailleurs à bas salaire parmi les pays les plus riches, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde). Près de 32 millions de travailleurs sont payés moins de 15 dollars de l’heure, ce qui ne leur permet pas de payer simultanément le loyer de leur logement, l’éducation de leurs enfants et leur assurance maladie. Ces travailleurs sont obligés de cumuler plusieurs emplois, ce qui implique des horaires de travail pouvant aller jusqu’à plus de 12 heures par jour.

En 1980, seulement 20 % de la main-d’œuvre étasunienne était syndiquée. En 2021, ce chiffre est tombé à 11 %. Dans le secteur public, le pourcentage de personnes syndiquées est de 34,8%, mais dans le secteur privé, il stagne à seulement 6,3%. Selon une enquête, au cours de la même période, le nombre de travailleurs qui ont exprimé leur intérêt d’adhérer à un syndicat est passé de 33 % à 48 %. Un projet de loi visant à encourager la syndicalisation est en attente d’un vote au Sénat. La proposition est connue sous le nom de « Loi sur la protection du droit à s’organiser », laquelle a été soutenue par le président Biden. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des représentants, mais il ne devrait pas passer au Sénat.

La raison pour laquelle les entreprises sont si opposées à la syndicalisation est peut-être le fait que les salaires des travailleurs non syndiqués sont en moyenne 16 % inférieurs à ceux des travailleurs syndiqués. Un travailleur syndiqué coûte plus cher. Il n’est donc pas surprenant qu’il existe un site web expliquant en détail, étape par étape, comment se débarrasser légalement d’un syndicat aux États-Unis.

La bourgeoisie n’est ni une abstraction dans des livres ni issue de l’esprit brûlant de Karl Marx, pas plus que la réalité de la société divisée en classes.

Pendant la pandémie, en 2020, Amazon a vu ses bénéfices plus que doubler pour atteindre 21 milliards de dollars. Au cours de cette période, Bezos a augmenté sa fortune de 74 milliards de dollars. Par contre, les travailleurs d’Amazon ont vu leur salaire augmenter de 2 dollars par heure en moyenne.

Amazon décrit le travail dans son entreprise comme exigeant et stimulant, mais aussi comme une opportunité pour ses employés. C’est ainsi qu’est décrite une entreprise qui envoie des messages à ses employés, leur disant : « vous pourrez dormir quand vous serez mort » ou, comme l’a découvert le journaliste James Booldworth, les employés étaient obligés d’uriner dans une bouteille parce que leur absence à leur poste de travail était pénalisée sur leur salaire. Amazon n’a eu d’autre choix que de s’excuser lorsque ces deux pratiques ont été rendues publiques, et ensuite… rien n’a changé.

(Source: Granma)

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