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Humberto de La Calle à propos processus de paix en Colombia

Humberto La CalleLa vie d’Humberto de La Calle est indissolublement liée à l’histoire politique la plus récente de la République de Colombie. Le parcours de cet avocat, professeur et diplomate est jalonné de moments importants, comme son travail au poste de ministre du gouvernement sous César Gaviria, dans sa mission de représenter l’exécutif devant l’Assemblée nationale constituante en 1991 ; en tant que vice-président de la République sous le gouvernement d’Ernesto Samper, de 1994 à 1996 (jusqu’à sa démission), de ministre de l’Intérieur sous le mandat d’Andrés Pastrana et, plus récemment, comme candidat aux élections présidentielles de 2018, dans ce pays d’Amérique du Sud.

Cependant, des millions de Colombiens associent Humberto à un événement marquant pour leur pays, un rêve tant désiré par plusieurs générations : la paix en Colombie.

De La Calle fut le chef de la délégation colombienne, au nom du gouvernement de Juan Manuel Santos, lors du processus de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (farc-ep), de 2012 jusqu’au moment de l’Accord général pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable en Colombie, signé à La Havane en 2016.

À propos du travail déployé par Cuba dans les Pourparlers de paix, de la situation politique actuelle de son pays et des derniers épisodes des relations entre les deux pays, Humberto de La Calle avait affirmé à Granma, lors de son séjour dans l’Île, ce mémorable 24 août 2016 : « La meilleure façon de gagner la guerre a été de nous asseoir pour parler de paix ». Il nous livre aujourd’hui ses impressions.

Comment évaluez-vous le rôle de Cuba dans le processus de paix de votre pays ?

Le rôle du gouvernement cubain a été extraordinairement important. Ce fut l’un des ingrédients nécessaires au succès de l’accord. Je tiens à souligner le travail des diplomates et des fonctionnaires qui ont accompagné les deux délégations. Ce travail a été réalisé avec le plus grand professionnalisme.

Cuba a pleinement compris son rôle de garant, en association avec la Norvège, dans une négociation directe entre les parties. En ce sens, elle a été absolument neutre, exactement comme prévu. Les deux garants ont constitué une garantie pour les parties et ont reçu de notre part une large marge de confiance, afin de pouvoir traiter la question avec compétence et discrétion.

Lors de ma première visite en tant que chef de la délégation au président Raul Castro, il m’avait clairement exprimé cette position : « Vous avez le soutien total de Cuba, mais de notre côté, il n’y aura ni déviations ni interférences. » Et je dois également souligner la générosité de nos hôtes pendant cette longue période, ainsi que l’affection du peuple cubain, qui a déployé tous ses efforts pour rendre notre séjour plus agréable.

Le quatrième rapport d’application de l’Institut Kroc d’Études internationales sur la paix de l’Université de Notre Dame, présenté le 16 juin, indique qu’en novembre 2019, plus de la moitié de l’Accord de paix était dans sa phase initiale de mise en œuvre. Quelle en est la raison ?

Des progrès ont été réalisés dans le domaine de la réinsertion des anciens combattants. Mais l’actuel gouvernement colombien, et les principaux dirigeants du parti au pouvoir, ont insisté sur le fait que leur tâche consiste à s’occuper de ce qu’ils appellent les « guérilleros de base ». Cela génère un parti pris qui a conduit au fait qu’il y ait des questions structurelles qui constituent une feuille de route pour la Colombie, au-delà des parties à La Havane, qui sont franchement gelées.

Une authentique réforme rurale intégrale reste encore une question en suspens, tout comme la réforme politique. Quant à la justice transitionnelle, ce n’est un secret pour personne que le gouvernement soulevé des objections incorrectes à cet égard, des objections qui, heureusement, n’ont pas prévalu. Je crois fermement que c’est une erreur de laisser de côté l’Accord qui a permis de mettre fin à des affrontements qui durent déjà plus d’un demi-siècle.

Il est également alarmant de constater qu’à ce jour, plus de 200 anciens combattants des farc-ep ont été assassinés depuis la signature de l’Accord de paix. Comment mettre un terme définitif à la violence dans votre pays ?

Le respect intégral de l’accord est la meilleure recette. Dans le cas des cultures illicites, par exemple, le remplacement volontaire génère un impact plus durable. L’usage de la force laisse la porte ouverte à la replantation de la coca, comme le souligne l’onu dans ses rapports.

Je fais attention aux mots. La mort de dirigeants sociaux et de personnes impliquées dans le crime de rébellion n’est pas entièrement nouvelle. On ne saurait accuser le gouvernement d’avoir inauguré cette hécatombe. Mais l’incertitude créée à propos de l’Accord a contribué à ce chiffre alarmant, auquel il faut ajouter la mort d’autres dirigeants. C’est le cas, par exemple, des défenseurs des droits de l’Homme.

Les pourparlers de paix entre le gouvernement colombien et l’Armée de libération nationale (eln) se sont déroulés à La Havane jusqu’à leur interruption sur décision du président Ivan Duque. Que pensez-vous du rôle de Cuba en tant que garant dans ces discussions ?

Je n’ai pas été personnellement impliqué dans ces négociations, mais j’ai l’impression que Cuba a fait preuve de la même rigueur que lors des pourparlers avec les farc.

Quelle est votre évaluation de la décision de l’actuel gouvernement colombien de ne pas tenir compte du Protocole de rupture, signé dans le cadre des négociations de paix par le gouvernement de Colombie, l’eln et les pays garants ?

Une grosse erreur. Les protocoles de rupture datent d’il y a longtemps. Il n’y aurait aucune possibilité de dialogue s’ils n’étaient pas signés et respectés. Le gouvernement s’est engagé sur une mauvaise voie et a créé un problème qui est devenu une impasse. Et ce n’est pas seulement Cuba, car la Norvège, en tant que garant, et d’autres pays avaient également souscrit à ces protocoles.

Au-delà de son aspect juridique, ce protocole n’est pas un document sans intérêt. Il s’agit d’un engagement juridique et moral de l’État colombien. L’argument selon lequel il a été signé par le gouvernement précédent n’a aucune valeur.

En 2019 également, la Colombie a modifié sa position historique en faveur de la résolution adoptée chaque année par l’Assemblée générale des Nations unies demandant la levée du blocus économique, commercial et financier exercé par les États-Unis contre Cuba…

Une erreur de politique étrangère. Le blocus viole des principes élémentaires de respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, le Haut-commissaire pour la paix du gouvernement colombien, Miguel Ceballos Arevalo, a déclaré, en allusion à l’inclusion de Cuba dans la liste étasunienne des pays supposés ne pas coopérer dans la lutte contre le terrorisme, que la décision du Département d’État était un « aval » au gouvernement colombien et à sa « demande insistante » pour que Cuba livre les membres de la délégation de paix de l’eln.

En effet, cette déclaration a été formulée. Par la suite, lors d’un débat sur le contrôle politique, le gouvernement colombien a affirmé qu’il n’avait pas discuté de la question avec le gouvernement des États-Unis. Mais le fait est que le Haut-commissaire a interprété qu’il s’agissait d’un soutien à la Colombie et de la demande de rupture du Protocole de sortie. C’est quelque chose de très grave. Générer ou applaudir cette décision équivaut à condamner Cuba pour avoir honoré sa parole. Car, en outre, ce n’est un secret pour personne que Cuba a collaboré avec plusieurs gouvernements colombiens dans la recherche d’une fin au conflit. À ce stade, il est impossible d’invoquer des agissements de Cuba visant à promouvoir le terrorisme dans notre pays.

Le gouvernement d’Ivan Duque a annoncé récemment sa décision de maintenir et de consolider les relations diplomatiques avec Cuba …

Eh bien, il le faut, c’est une bonne chose. La Colombie a depuis longtemps adopté une approche ouverte de ses relations extérieures. Nous constatons à présent une attitude différente envers Cuba qui nous isole du panorama régional et qui constitue, en outre, un acte d’ingratitude envers un pays qui a consacré tous ses efforts en vue de mettre un terme au conflit armé. Espérons que ces propos seront traduits dans la réalité et que nous parviendrons à surmonter la question du protocole afin de restaurer le climat de solidarité mutuelle qui nous a été très utile.

Le 15 juin, plusieurs membres du Congrès de la République de Colombie ont enjoint “le gouvernement à renouveler explicitement son engagement envers le rôle de Cuba en tant que garant dans le processus de mise en œuvre de l’accord de paix. Souscrivez-vous à cette déclaration ?

Entièrement.

D’après votre expérience, que suggérez-vous à toute équipe de négociation appelée à participer à un processus de paix ?

Avoir bien à l’esprit que ce qui est signé doit être mis en œuvre, au-delà des vicissitudes politiques ultérieures. Le négociateur est la voix du président qui, en tant que chef d’État et compétent en la matière, engage l’État colombien.

Pour conclure, comment définissez-vous la situation actuelle en Colombie ?

Il y a des difficultés en raison de la pandémie. Jusqu’à présent, les chiffres sont bons, mais on s’inquiète des effets sociaux sur la population, car le coup porté à l’économie et à l’emploi a été très dur.

J’espère que nous, les Colombiens, pourrons comprendre qu’e l’une des façons de s’occuper des plus faibles est de respecter l’Accord dans les régions qui ont été identifiés comme les plus défavorisées. La lutte contre la pandémie n’est pas contradictoire, mais complémentaire de l’Accord, du moins en ce qui concerne les dispositions relatives au développement territorial. Pour le reste, il y a une confrontation politique brutale. J’espère que nous parviendrons à la surmonter afin de comprendre que la réconciliation est impérative si nous voulons un pays meilleur.

(Source: Granma)

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