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Du corps de ballet à danseur étoile

ballet Cuba, bailarinaLES dernières saisons du Ballet national de Cuba au cours desquelles sont apparus autant de jeunes débutants dans les rôles principaux, de même que le nombre important de danseurs qui sont partis vers des compagnies à l’étranger, nous ont amenés à tenter de comprendre le parcours d’un jeune danseur jusqu’à parvenir à la catégorie la plus élevée de première danseuse ou premier danseur.

Y a-t-il un chemin tracé pour devenir danseur ou danseuse étoile ? Tous y parviennent-ils ? Quel est l’incidence du talent individuel ? L’école, la barre, la salle de répétition et se mesurer à des œuvres emblématiques font-ils partie de ce parcours ?

Pour déchiffrer les étapes, ni aussi simples, ni parfois aussi strictes, et dans certains cas controversées, qui mènent à la promotion d’un danseur, cette publication a rencontré Miguel Cabrera, historien du Ballet national de Cuba depuis les années 70, dans son bureau situé dans le quartier havanais du Vedado.

Miguel Cabrera explique que dans la plupart des grandes compagnies de ballets, les emplois sont : premier danseur, premier danseur de caractère ou demi-caractère, premier soliste, coryphée et corps de ballet. À certaines occasions exceptionnelles, cette trajectoire n’est pas aussi linéaire. Concernant le BNC, son historien dispose d’éléments de première main du fait de sa présence prolongée auprès des trois fondateurs de la compagnie et de l’École cubaine de ballet : Alicia, Fernando et Alberto Alonso. Cabrera a eu la chance qu’Alicia elle-même lui explique, programmes de l’époque en main, qu’au début les catégories n’étaient différenciées que par la typographie et la taille des lettres. « On peut voir qu’en 1948, lorsque la compagnie a été créée, les noms d’Alicia, de Fernando et d’Alberto, – les seuls Cubains à l’époque –, et celui d’Igor Youskevich et d’autres figures étasuniennes étaient écrits en grosses lettres. »

C’est à partir de la tournée de 1949, signale Cabrera, que l’on commença à séparer les catégories et cela s’est fait peu à peu en tenant compte de la performance des danseurs, de leurs qualités techniques, artistiques et de leur souplesse stylistique. L’historien souligne qu’au triomphe de la Révolution, en 1959, la compagnie a été réorganisée, mais que les catégories n’étaient pas encore spécifiées. « Plus tard dans les années 60, elles ont été établies avec la création de l’École nationale de ballet (héritière de l’Académie de Ballet Alicia Alonso qui célèbre cette année son 65e anniversaire). La première eut lieu en 1962 et l’on trouve déjà dans les programmes les noms de Mirta Pla, Josefina Mendez et Margarita de Saa en tant que premières danseuses et 1967, Loipa Araujo et Aurora Bosch. »

Les promotions ces années-là étaient-elles dues à des situations d’urgence ?

Effectivement. Nous n’avions aucun danseur masculin de qualité. Youskevich ne vint plus après 1959, généralement à cause du blocus les étrangers ne venaient pas non plus. Quant au Russe Azari Plisetski, il savait qu’il ne resterait pas de façon permanente à Cuba et il fallait trouver des partenaires pour Alicia, et les dénommées « Quatre joyaux ».

Il se souvient alors de la première promotion de l’école en 1968. « De Jorge Esquivel, qu’Alicia et Fernando avaient sculptés comme un métal précieux. En 1972, Ofelia González, Amparo Brito et Rosario Suárez, étaient déjà premières danseuses. Elles avaient interprété rapidement des rôles importants du fait de certains manques, bien que leur processus de promotion ait été excessivement long et qu’elles ne furent nommées premières danseuses que bien des années plus tard, ce qui provoqua de grandes polémiques. »

Une fois le fonctionnement de l’école garanti, – aujourd’hui l’École nationale de niveau élémentaire et intermédiaire avec un siège impressionnant sur le Prado et les écoles provinciales à Santiago de Cuba, Camagüey, Santa Clara, Matanzas, Pinar del Rio et Artemisa –, le système de catégories a progressivement pris forme. C’est celui que nous utilisons aujourd’hui, dit l’historien de la compagnie dirigée par Alicia Alonso.

« Après l’entrée des jeunes danseurs dans la compagnie, la responsabilité incombe aux régisseurs et aux maîtres de ballet. Ceux sont eux qui suivent les cours et qui enregistrent les progrès, et selon ce qu’ils apprécient en chacun d’entre eux, ils forment le groupe. » Comme l’explique Cabrera, ce n’est pas la même chose à la barre que sur scène.

«Parfois, le danseur a une très bonne prestance, mais ses chevilles ne sont pas assez solides, ni ses pointes, et la plupart des rôles exigent une technique forte. Cependant, dans la danse tout n’est pas physique, il faut de l’expression artistique. Un danseur avec de la technique peut ne pas être agile pour les styles, pour se dérouler, pour saisir. Le niveau d’exigence technique aujourd’hui est très élevé et il faut ajouter l’essentiel, quelque chose qui ne s’achète pas à l’école : le talent. »

C’est grâce au talent que certains émergent immédiatement du corps de ballet, ce qui est l’essence d’une grande compagnie, souligne Cabrera. « Le corps de ballet doit être homogène, apparemment tous doivent être égaux, danser aussi bien. Si la chorégraphie comporte deux pirouettes, il en fait deux, même s’il peut en faire cinq, mais que se passe-t-il en cours tous les jours, l’enseignant observe qu’il peut faire cinq. Et c’est le premier pas vers certains rôles et ainsi, pour son rendement, si l’on suit un déroulement logique, organique, et si le danseur cultive son talent, il peut devenir premier ou première danseuse. »

Existe-t-il un idéal de danseuse ou danseur classique ? Y a-t-il des limitations du fait du biotype ?

Cet idéal est donné par les proportions, les lignes et la capacité technique en fonction de ce physique. On recherche une taille. Cela ne signifie pas qu’elle doit être plus grande ou plus petite. C’est une proportion. Je parle de la cheville à la taille, de la taille aux épaules, le cou. Quant au biotype, il y a de nombreuses danseuses blanches, marmoréennes, qui ne parviennent jamais à danser Giselle, que ce soit pour la technique, l’art, ou le physique. Danser Giselle, ce n’est pas donné à toutes les danseuses. Tous ne peuvent pas non plus être princes. Je vous rappelle quelques princes de notre compagnie, Andrew Williams, un Noir qui fut premier danseur ; Carlos Acosta, un mulâtre, qui est devenue une étoile mondiale. Je refuse la discrimination raciale. Ce n’est pas la couleur, mais la proportion, la technique et l’art qui comptent et le fait que le danseur réponde aux exigences du répertoire.

Pour devenir premières figures, il faut avoir interprété certaines œuvres. N’est-ce pas ainsi ?

En effet. Par exemple, chez les hommes, lorsque le danseur interprète Le Lac des cygnes, du corps de ballet, il passe au pas-de-six, ensuite de trois et s’il a l’allure et la technique, Siegfried est à sa portée.

N’est-ce pas une sorte de rituel pour les ballerines de danser d’abord La Fille mal gardée, Copellia, Le lac des cygnes jusqu’à Giselle?

C’est presque toujours ainsi. Aujourd’hui, nous avons deux jeunes danseuses qui se démarquent pour être première ballerines, Gretel Morejon et Estheysis Menéndez. Il faut cependant respecter les stades de développement. En ce moment, il y a une autre urgence : à Cuba, on forme de magnifiques danseurs qui peuvent désormais passer des contrats avec d’autres compagnies.

Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai, mais ce n’est pas un phénomène de Cuba seulement. Le monde moderne est guidé par un mot : mobilité. Quand il s’agit de Cuba, on parle de « désaccord politique», mais ce n’est pas toujours ainsi. Au cours de ces dernières années, cette émigration a été très forte dans tous les domaines. Les danseurs vont là où ils sont le mieux payés.

Désormais, face à l’exode des jeunes qui décident de faire leurs preuves dans différents pays et pour différentes raisons, nous avons été confrontés à un vide et logiquement, il a fallu accélérer les processus de formation, poursuit l’historien BNC. Mais attention, ils ont du talent, ce qui leur manque c’est le polissage de la danse, la maîtrise artistique. Alicia a coutume de dire que lorsqu’un danseur sort de l’école, il doit être capable de faire les 32 fouettés du Cygne noir. Ah! qu’il ne sache pas encore placer son bras correctement ou qu’il nait pas le style parfait, c’est autre chose. Il ne faudrait pas croire que l’on a choisi n’importe qui. Cette année, de nouvelles danseuses et de nouveaux danseurs, qui sont dans la compagnie depuis un certain temps et qui sont sortis de l’école avec des prix, ont débuté dans des rôles importants.

‘historien fait allusion aux premières saisons de BNC qui a porté à la scène de la salle Lorca du Grand Théâtre de La Havane Alicia Alonso, La magie de la danse (fragments de Giselle, La belle au bois dormant, Coppelia, Casse-Noisette, Don Quichotte et de la Symphonie de Gottschalk) et trois autres œuvres de son vaste répertoire: les Sylphides, Céleste et Carmen. Ces représentations furent le moment opportun pour découvrir un grand nombre de jeunes danseurs. La critique a déjà remarqué la jeune Grettel Morejon, dans le deuxième acte de Giselle, dont l’interprétation associe style et technique, accompagnée par Adrian Masvidal, dans le rôle d’Albrecht, à la ligne excellente, mais qui aura besoin d’heures de répétition pour améliorer sa technique et dans le rôle de Myrtha, la reine des Willis, Cinthia Gonzalez, qui a démontré que cet autre personnage-légende dans la compagnie est toujours bien vivant. (On se souvient de l’impeccable interprétation de Mirta Pla, maintenant décédé) Une autre danseuse qui s’est hissée aux premiers plans : Estheysis Menendez. Qui a fait ses débuts dans Kitri, de Don Quichotte, secondée par le jeune diplômé, avec mention très bien, Patricio Revé, qui a fait preuve d’une excellente technique dans le rôle de Basile.

Le BNC ne cesse de polir des danseurs et de les promouvoir. Il semble y avoir un vivier inépuisable, mais ces coups d’accélérateur et ces promotions soudaines n’affectent-ils pas la compagnie ?

Je suis un homme inquiet, formé et optimiste. Tant que notre système d’enseignement existera tel qu’il est aujourd’hui, que les enseignants conserveront leur niveau d’exigence et que les conditions du plan d’étude seront respectées, je n’ai ni doute ni crainte quant à l’avenir du ballet à Cuba. Si on néglige l’école, alors c’en sera fini du ballet.

(Granma)

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