Actualité »

Protocole, la nouvelle pièce de Carlos Celdran

Carlos Celdran teatroLorsque Carlos Celdran, l’un des metteurs en scène essentiels du théâtre cubain contemporain, qui vient d’obtenir le Prix national de Théâtre 2016 et Abel Gonzalez Melo, un jeune auteur fécond qui a accumulé les succès dans l’île et à l’étranger, annoncent une nouvelle mise en scène, le public est assuré par avance de découvrir une proposition de qualité. Protocole, leur dernière pièce présentée en première mondiale confirme cette conviction.

La petite salle du Théâtre Argos, située entre les rues Ayestaran et 20 de Mayo à La Havane, trop petite désormais pour la compagnie de Celdran, était de nouveau comble, et comme d’habitude, le public n’a pas été déçu.

Protocole est une version très libre d’Abel Gonzalez Melo, inspirée de la pièce Un ennemi du peuple, du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, écrite spécialement pour les acteurs espagnols Ernesto Arias et Paloma Zavala, qui sont venus à La Havane pour jouer dans la première mondiale (seulement cinq représentations avant une tournée européenne).

Ernesto Arias, un acteur chevronné qui a tenu l’affiche au théâtre, au cinéma et à la télévision – il a joué dans la série Isabel – et Paloma Zavala, directrice artistique du projet de coopération culturelle Crossing Stages – elle a dirigé Les Femmes savantes, de Molière –, viennent à Cuba pour la première fois, invités par le Conseil national des arts scéniques et la section cubaine de l’Institut international du Théâtre, dont Celdran est président, avec le soutien de l’ambassade d’Espagne.

Arias et Zavala connaissent déjà le travail de Gonzalez Melo et la direction d’acteurs soignée de Celdran, car en 2013, ils ont joué à Madrid dans la première très réussie de l’une de ses pièces, Chamaco.

Cette fois, il les dirige de main de maître, en plaçant les deux acteurs toujours au premier plan. Leur jeu, superbe et irréprochable, – sans oublier la voix et la diction –, transmet des émotions mêlées, des passions, des peurs et des manipulations.

Il s’agit d’un spectacle dépourvu d’artifices, avec juste la scénographie nécessaire, cohérente dans la sobriété. On ne voit pas passer le temps…

Dans Protocole, Gonzalez Melo s’intéresse à l’histoire d’un couple espagnol d’aujourd’hui, immergé dans les contradictions de la société contemporaine. L’auteur structure la pièce en dix moments, « un décalogue de règles protocolaires » : Parle quand on t’interroge ; Accepte les différences ; Prends du plaisir mais sans excès; Ne montre pas tout de toi ; Cède même si tu ne le veux pas; Évite les exaspérations ; Promets quand c’est nécessaire ; Fais confiance juste ce qu’il faut ; Lave toi toujours les mains et Garde un dernier atout.

Avec ce nouveau texte, Celdran reprend les caractéristiques de son théâtre : un jeu scénique efficace qui lui permet de dialoguer avec le présent, ce qu’il fait avec lucidité et précision. C’est un directeur en pleine maturité qui sait ce qu’il veut.

Le réalisateur et l’auteur ont eu l’amabilité de m’accorder une entrevue avant la première. Je m’entretiens d’abord avec Gonzalez Melo.

Pourquoi revenir à Ibsen pour cette nouvelle pièce ?

Dans ce cas particulier, Protocole, nous avions travaillé récemment avec Celdran dans Mecanica, inspirée de Une maison de poupées. Je pars cette fois d’une autre pièce d’Ibsen, Un ennemi du peuple, qui a dix personnages, qui deviennent un couple, et je prends de la distance par rapport à Cuba, mais pour parler de thèmes qui étaient présents dans Mecanica : le couple, la trahison, la corruption, dans ce cas liés à l’environnement espagnol. Nous revenons sur scène avec Protocole, avec beaucoup de liberté.

J’ai concentré l’histoire sur la réalité espagnole, la peur de l’arrivée du virus Ébola en Europe, puis la fidélité dans le couple. Je traite aussi le fait que Stockmann [le personnage d’Ibsen] ne peut plus être désormais un héros romantique ; il ne peut plus être cet individu qui avance persuadé de détenir la vérité, parce que maintenant il doit composer avec de nouvelles choses, avec un mode de vie auquel il s’est habitué, se croire maître de son destin. C’est mon point de vue, ma façon de relire Ibsen et de lui rendre hommage.

Que proposez-vous d’autre pour 2016 ?

La pièce Epopeya, prix Virgilio Piñera, sera jouée le 22 janvier à Chicago, dirigée par Sandor Menéndez et le groupe théâtral Aguijon et en milieu d’année, j’espère qu’elle sera à Cuba avec Pedro Franco et sa compagnie El Portazo. Je travaille actuellement sur une pièce qui pour l’instant s’appelle Intemperia. Je suis dramaturge résident cette année du Home Manchester qui est l’un des théâtres les plus importants du Royaume-Uni et je vais travailler directement avec le directeur Walter Meierjohann. Pour la première fois, j’écris une pièce qui se déroule en deux étapes, entre 1993-94 et 2015-2016 avec deux générations de personnages.

Le dialogue avec Celdran, qui a reçu seize prix de la Critique pour ses mises en scène et huit prix Caricato de l’Association des artistes de théâtre de l’Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC), porte d’abord sur sa compagnie, Théâtre Argos, fondé il y a 20 ans.

Comment voyez-vous ces deux décennies ?

Fêter 20 ans au théâtre, ce n’est pas facile, c’est un long voyage dans lequel il faut trouver son langage, son espace et son public, qui on est sur le plan théâtral. Il y a eu plusieurs étapes dans lesquelles j’ai dû me débarrasser de ce que j’avais appris pour réapprendre, pour réinventer sans cesse. Ce fut un long apprentissage rempli d’erreurs et de réussites pour arriver jusqu’ici. Je suis très heureux que nous soyons encore là pour offrir au public un théâtre plein de vitalité.

Protocole n’est pas un nouveau titre pour vous qui avez monté Stockmann, ennemi du peuple, en 2006, un événement théâtral exceptionnel, qui a obtenu le prix de la Critique. Comment assumez-vous cette nouvelle idée, sur quels éléments insistez-vous ?

Ennemi du peuple fut l’une des mises en scène les plus importantes du Théâtre Argos et pour moi cela reste une référence de mon travail. Lorsqu’Abel m’a annoncé qu’il allait en faire une nouvelle version, cela m’a un peu effrayé car j’ai eu du succès avec cette œuvre que le public a vue et dont il se souvient. Ce qui m’intéresse cette fois, c’est le changement de lieu de l’œuvre, dans un monde contemporain, en Espagne.

Il faut se rappeler qu’Abel a également une partie de son travail liée à l’Espagne parce qu’il vit entre les deux pays. J’ai moi aussi beaucoup travaillé là-bas et j’éprouve le besoin de dialoguer avec cette réalité d’une manière profonde. L’œuvre aborde un problème central pour l’Espagne, la crise du pouvoir, la crise économique, la corruption au sein du pouvoir et de la classe politique dominante.

Plus qu’ennemi du peuple en soi, ce qui m’a intéressé dans le texte d’Abel, c’est la réflexion au sujet de l’Espagne. Mais également travailler avec deux acteurs espagnols que j’aime beaucoup, Ernesto Arias, peut-être l’un des premiers acteurs de théâtre espagnol en ce moment, et Paloma Zavala, une jeune actrice bien formée, intelligente.

Vous abordez des problèmes universels …

Universels, et c’est Ibsen qui les soulève : les problèmes du couple, les mensonges, la déception qui les gagne à partir de l’élément déclencheur de l’action elle-même.

Que pouvez-vous nous dire sur votre première œuvre en tant que dramaturge ?

Elle s’appelle Diez milliones. C’est un texte que j’ai écrit il y a quelques années. Je l’ai présenté au concours de dramaturgie Virgilio Piñera et j’ai obtenu une première mention. Cela m’a peut-être encouragé à le mettre en scène. J’ai longtemps hésité à le faire, car ce n’est pas exactement un texte de théâtre dans le sens traditionnel du dialogue. C’est plutôt un texte narratif où les personnages racontent des histoires.

Il est autobiographique, la relation avec mes parents lorsque j’étais adolescent et les événements qui l’ont marquée sur un plan personnel et je pense social, car des événements sociaux se sont produits aussi à la fin des années 60, 70 et au début des années 80, des an- nées très importantes dans l’histoire contemporaine cubaine. C’est cela l’histoire, ma relation avec eux sur le plan personnel et avec tous les milieux de vie. Elle sera jouée en juin avec quatre acteurs d’Argos : Caleb Casas, Daniel Romero, Maridelmys et Waldo Franco.

Carlos Celdran et Abel Gonzalez Melo ont réussi un Protocole très contemporain pour Ibsen.

(Granma)

Envoyer le commentaire

Votre email n'est jamais publié. Les champs obligatoires sont marqués. *

*